1. Biodiversité des êtres vivants du lagon
    1. Le plancton : Diversité et rôle biologique (N. Crestey)
    2. Conséquence de la phase planctonique de la vie des poissons récifaux (N.Crestey)
    3. Découverte de la microfaune benthique (N. Gravier-Bonnet)
    4. Notion de systématique et de biologie (A. Barrére & F. Trentin)
    5. Les grands groupes d'animaux marins (spongiaires, cnidaires, etc...)
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Conséquences biologiques de la phase planctonique de la vie des poissons coralliens (N. Crestey)

Le trait probablement le plus méconnu des poissons coralliens et pourtant le plus déterminant pour leur écologie est que 99% des espèces ont des larves océaniques et planctoniques.

Différentes phases du cycle de reproduction.

Diversité des comportements reproducteurs

Certaines espèces, comme les poissons-chirurgiens ou les muges, se reproduisent en formant des bancs importants dans les passes et les façades océaniques des récifs, endroits les plus exposés à l'influence océanique. Les cellules sexuelles mâles et femelles (gamètes ) sont émises dans l'eau, où s'effectue ensuite la fécondation.

Chez d'autres espèces, tels les poissons-demoiselles et les poissons-papillons, des couples font de brèves ascensions vers la surface et y libèrent leurs gamètes.

Chez un tiers des espèces, les femelles pondent leurs oeufs non fécondés sur un substrat dur, comme certains poissons-demoiselles ou dans un nid grossier creusé dans le sédiment et qu'elles protègent vigoureusement, tels les poissons-balistes.

Néanmoins, quel que soit le lieu de fécondation, benthique ou pélagique, les larves sont pélagiques et ne retournent dans le récif pour le recrutement, qu'à l'issue d'un séjour de deux semaines à plus de trois mois en plein océan.

Phase planctonique

Des milliers, voire des millions d'oeufs de moins d'un millimètre de diamètre produits par la fécondation, naissent des larves minuscules qui sont emportées dans l'océan par les courants. Elles se nourrissent d'abord grâce à leur sac vitellin, riche en réserves nutritives, puis capturent de petites proies planctoniques.
A ce stade, les larves sont transparentes et se déplacent par saccades en battant rapidement de leur queue fine comme un flagelle, (à leur échelle l'eau est relativement visqueuse). Les jeunes larves ne peuvent donc résister aux mouvements océaniques et font partie du plancton océanique. Certaines larves s'adaptent à la vie planctonique en développant une morphologie, une physiologie ou des comportements appropriés.

Phase nageuse

A la fin de leur séjour dans l'océan les larves commencent à ressembler à de petits poissons. Une queue pédonculée rend leur nage efficace. Les plus grandes, mesurant plusieurs centimètres, sont ainsi capables de résister aux courants marins ; elles font partie du "necton".

Des pigments, les mélanophores, apparaissent sur le corps à des endroits propres à chaque espèce, ce qui permet, leur identification.

Les larves sont alors prêtes pour le grand bouleversement de leur cycle de vie : leur recrutement parmi les poissons du récif et leur métamorphose en adultes. Mais toutes n'arrivent pas à destination : la prédation, le manque de nourriture ou l'entraînement par certains courants dans des zones océaniques défavorables provoquent une hécatombe. Sur les dizaines de milliers d'oeufs que pond chaque femelle, il ne subsiste que quelques centaines de larves âgées, phénomène d'ailleurs quasi général chez les poissons et beaucoup d'invertébrés marins.

Le recrutement et la métamorphose

Pour celles qui restent la transition entre la vie dans l'océan et la vie sur le récif se déroule par le biais d'une métamorphose. Les larves de poissons récifaux acquièrent progressivement toutes les aptitudes physiologiques pour se transformer en juvéniles colorés. La métamorphose s'opère généralement au contact des récifs, peut-être sous l'effet de stimuli sensoriels particuliers. Mais elle peut également se produire au large. Il est donc essentiel que les larves soient suffisamment proches d'un récif pour venir le coloniser et y poursuivre leur cycle de vie.

Celles qui en restent éloignées risquent de se métamorphoser en plein océan. Leur nouvelle coloration les rend alors extrêmement vulnérables vis-à-vis des nombreux prédateurs pélagiques.

Néanmoins, il semble que les larves parviennent à échapper à une mort prématurée en retardant leur métamorphose. Des travaux réalisés en 1992 par Benjamin Victor aux Caraïbes ont montré chez une espèce de girelle du genre Thalassoma, que la durée de vie larvaire peut varier selon les individus. Certains chercheurs, comme Jeff Leis, de l'Australian Museum, pensent que les larves pourraient ralentir leur développement quand elles se trouvent au large et augmenter ainsi leurs chances de rencontrer un récif.

Echanges génétiques entre des populations parfois très éloignées

Au terme de leur phase de vie larvaire planctonique, les individus d'une même espèce peuvent se retrouver dispersés en différentes zones de l'océan.

Ainsi, alors que les milieux terrestres des îles océaniques sont marqués par un fort endémisme, les récifs coralliens qui entourent ces îles, et qui sont pourtant tout aussi dispersés, ont un peuplement étonnamment cosmopolite.

D'une superficie de 617 000 km2, les récifs coralliens forment deux grandes provinces biogéographiques : la province Atlantique avec notamment les Caraïbes, et la province Indo-Pacifique, vingt fois plus étendue, du golfe de Suez jusqu'au Pacifique Est. Leur origine tient à la séparation des deux bassins océaniques du Pacifique et de l'Atlantique (fermeture de l'isthme de Panama) voilà deux à cinq millions d'années,.

Les aléas de la vie larvaire font que les grands espaces océaniques représentent une certaine barrière à la dispersion des espèces. Aussi, il s'avère que, dans un système constitué de récifs épars, l'élément primordial qui détermine les échanges de gènes entre les populations de poissons n'est pas la durée de la phase larvaire mais les variations des courants reliant les récifs.

A l'opposé, dans un système semi-continu comme la Grande Barrière d'Australie, où les récifs se sont alignés sur deux milles kilomètres le long du plateau continental avec des passages plus ou moins larges entre eux, les échanges de gènes entre populations pourraient dépendre de la durée de la phase larvaire océanique.

Ainsi, l'endémisme (la quantité d'espèces restreintes à une région) est plus important dans les îles éloignées des continents.

Biodiversité

La dispersion des larves augmente l'aire de répartition géographique des espèces, ce qui explique que quelques kilomètres de récifs coralliens abritent plus d'espèces de poissons que toute la Méditerranée.
Environ 4000 espèces de poissons ont été recensées dans les récifs coralliens soit 30% des poissons marins et de nouvelles espèces sont encore régulièrement décrites.

Dans l'Indo-Pacifique, la plus riche en espèces, le nombre maximal de poissons se situe dans l'archipel des Philippines (deux mille espèces recensées). Ce nombre décroît ensuite selon la longitude et la latitude. il reste cependant plus grand le long des continents (Australasie et Afrique) qu'au niveau des îles, car les grands espaces océaniques représentent une certaine barrière à la dispersion des espèces.
Ainsi, seulement huit cents espèces de poissons existent en Polynésie française alors que Madagascar, par exemple, en compte mille deux cents.

Adaptation à des milieux restreints donc menacés

Compte tenu de la forte mortalité larvaire provoquée par la vie au large et le retour au récif on peut se demander quel est, pour les espèces de poissons, l'intérêt de la phase pélagique. Pourquoi l'évolution n'a-t-elle pas plutôt sélectionné un cycle de vie entièrement récifal ?
Un premier courant d'idées invoque les avantages adaptatifs de la dispersion des oeufs et des larves, une diaspora océanique qui permet de diminuer les risques de mortalité associés à des perturbations locales subies par un récif
Une thèse voisine, proposée en 1981 par Georges Barlow de l'université de Californie, suggère que la naissance et la disparition de chaque récif corallien aient favorisé la sélection d'une phase de dispersion larvaire. Car les espèces auraient pu, par ce biais, éviter les risques d'extinction. La dispersion des larves rendrait donc les espèces de poissons coralliens moins sensibles à la disparition des récifs.
Pour les spécialistes de l'évolution, cette hypothèse peut être associée au modèle de métapopulation utilisé en écologie : une métapopulation est soit une population fragmentée, soit un ensemble de populations qui évoluent conjointement du fait d'échanges génétiques et de migrations. Une dispersion importante permet de contrebalancer des extinctions localisées.

Gestion des stocks de poissons coralliens

La question des échanges géniques entre populations est plus cruciale qu'elle n'y paraît. La pêche et la dégradation des milieux côtiers entraînent non seulement une diminution des stocks de poissons, mais parfois aussi une réduction de l'aire de répartition naturelle des espèces (même si la pêche reste essentiellement artisanale dans ces zones). Aussi la connaissance de la phase larvaire océanique apparaît-elle maintenant indispensable pour une gestion rationnelle des ressources notamment en milieu corallien.
Faut-il gérer les poissons coralliens en protégeant chaque récif ou se limiter à quelques sites servant de réserve ?
Cette question rejoint le problème de la structure spatiale des réserves naturelles : faut-il faire une grande réserve ou plusieurs petites ?

Pour en savoir plus :

La Recherche N°277, juin 1995, pp. 640 à 647.


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