La faune des sédiments coralliens

Par Patrick Frouin (Maître de conférences, ECOMAR, Université de la Réunion).

Quand on évoque les récifs coralliens et leur diversité biologique, viennent spontanément à l'esprit des images de champs de coraux ou de nuages de poissons, ces animaux qui occupent l'espace de manière si voyante. A côté de ce foisonnement d'individus et de couleurs, les étendues sableuses du récif paraissent désertes, si on exclut quelques holothuries et algues éparses. Cette impression est loin de la réalité. En effet, ces sédiments abritent des organismes variés (bactéries, invertébrés, vertébrés, algues) et abondants: ceux-ci sont dits benthiques (du grec; profondeur). A l'image du récif, la diversité de cette faune benthique des sédiments est immense.
Pour l'étudier, les scientifiques ont créé des catégories, basées sur la taille des individus: la méiofaune (0,063 à 0,5 mm), la macrofaune (0.5 à 10 mm) et la mégafaune (>10mm). Selon les auteurs, la limite inférieure de la macrofaune peut se situer à 1mm et sa limite supérieure à 20 mm. Ceci rappelle que les catégories créées pour les besoins de la recherche sont des outilsne reflètent pas toujours le continuum biologique. D'autres catégories ont été basées sur le mode de nutrition des animaux, ce sont les groupes trophiques. Pour le benthos, on distingue ainsi les carnivores, les herbivores, les suspensivores (qui captent des particules en suspension dans la colonne d'eau, grâce au courant) et les déposivores (qui s'alimentent de particules organiques déposées dans les sédiments). La structure trophique des communautés est la répartition des individus parmi les différents groupes trophiques définis. Le reste de cet article traite de la seule macrofaune.



L'étude de la macrofaune benthique ne se limite plus depuis longtemps au seul travail d'inventaire et de description des espèces. Aujourd'hui la recherche porte essentiellement sur le fonctionnement des écosystèmes, notamment quand ils sont soumis à l'influence humaine: la macrofaune donne alors une information sur l’état de santé de l’écosystème. Elle est très utilisée pour caractériser les apports organiques et les pollutions chimiques. En effet les populations qui constituent les communautés de la macrofaune s'organisent en fonction des facteurs environnementaux. Grossièrement, il est admis que les milieux sains abritent une faune diversifiée, c'est-à-dire avec des individus répartis parmi de nombreuses espèces. De plus cette faune contient de nombreux carnivores. A l'opposé, en milieu perturbé, les communautés sont pauvres, c'est-à-dire avec une majorité des individus répartis en quelques espèces dominantes, voire une seule. Cette faune de milieu perturbé - très souvent par un enrichissement organique - contient de nombreuses populations déposivores. La macrofaune génère des indicateurs à deux échelles. A l'échelle individuelle on parle plutôt de bio-indicateurs, sur lesquels on étudie l'accumulation d'éléments toxiques comme les métaux lourds, les pesticides, etc. A l'échelle des peuplements, ce sont des indicateurs au sens large: on a vu que la structure de ces peuplements est régie par les conditions environnementales. En fait une structure donnée correspond à une combinaison donnée des facteurs environnementaux. Ces peuplements varient dans l'espace et le temps, ce qui est pratique pour étudier les récifs.


Pour aboutir à des conclusions sur le fonctionnement de la macrofaune les études se basent sur des variables comme la diversité, la densité, la biomasse et la structure trophique.
C’est sur le terrain que sont récoltées ces données. Des échantillons de sédiment sont prélevés, en respectant des contraintes statistiques. Plusieurs méthodes permettent d'extraire ces sédiments: la benne, sorte de mâchoire métallique lestée qui est larguée d'un bateau et remontée par un treuil après qu'elle se soit déclenchée au contact du substrat; l'aspirateur à air comprimé, simple tuyau de PVC le plus souvent, connecté à une bouteille de plongée et terminé par un sac de maille définie (1mm généralement); le carottier, tube en PVC ou inox, qui est enfoncé manuellement ou mécaniquement dans le substrat. Le matériel récolté est passé sur un tamis de vide de maille de 1 mm: le refus de tamis est ensuite trié par élutriation (i.e. sous courant d’eau) pour récupérer les organismes de la macrofaune, puis trié à la main pour collecter les animaux ayant un test calcaire (mollusques) qui n’ont pas été entraînés par le flux d’eau. Les individus sont trempés dans le formol (pour durcir les tissus) puis stockés dans l’alcool et identifiés jusqu’à l’espèce quand cela est possible, comptés et pesés. L’identification est souvent longue et difficile, particulièrement en milieu tropical qui est beaucoup moins étudié. De plus les spécialistes de nombreux groupes d’invertébrés marins se raréfient, rendant les identifications incertaines.
Partie antérieure d'une annélide Les groupes qui composent la macrofaune des sédiments sont très nombreux (95% des espèces marines sont benthiques). Généralement les taxons dominants sont les mollusques, crustacés et annélides polychètes. A côté de ceux-ci on peut trouver des individus appartenant à des taxons peu connus comme les pycnogonides (ressemblant à des araignées) ou les entéropneustes puisque 39 phyla sont présents en milieu marin.
Les annélides polychètes sont souvent le taxon dominant, occupant tous les milieux, pollués ou non. Ils couvrent tous les groupes trophiques. Leur classification est basée sur des caractères morphologiques comme le nombre d’antennes, la forme des mâchoires, la présence et la forme des branchies externes, la forme des nombreuses soies (qui ont donné le nom à cette classe d’annélides) portées par les segments, etc.


A la Réunion, les sédiments sont pauvres car le récif est jeune et perturbé, avec peu de sédiments. Une première étude a recensé 64 taxons de 1mm à quelques centimètres, mais souvent l’identification est arrêtée au phylum, à la famille ou au genre; c’est donc un chiffre minoré. A titre de comparaison en Nouvelle Calédonie 266 taxons ont été identifiés. A la Saline, on a mesuré des densités moyennes des 330 individus par m2, avec parfois des extrêmes atteignant 12 000 individus par m2 (actiniaires à Petit trou d'eau).

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