De l'idée d'une réserve marine à La Réunion…

Des constats anciens

•  A la fin des années 60 , la plongée sous marine fait ses débuts à La Réunion. A cette époque les plages sont peu fréquentées. Les milieux littoraux et sous-marins bien qu'exploités, sont peu étudiés.

•  Avec les années 70 débute la connaissance de ces milieux. Les premières études doctorales sont menées par deux océanographes (Lucien MONTAGGIONI et Gérard FAURE ), dans le cadre d'un Centre Universitaire rattaché à l'Université d'AIX-MARSEILLE et qui préfigure l'actuelle Université de •  La Réunion ne font état d'aucune dégradation de ces milieux littoraux.

•  Au cours des années 70, les transports et les loisirs nautiques se développent ; les adeptes des milieux sous-marins se font plus nombreux. Ce développement a pour conséquences une exploitation de plus en plus grande et anarchique des biotopes coralliens conduisant à des pratiques irréfléchies et souvent excessives. En particulier, au milieu des années 70, dans la région des récifs de l'Ouest de l'île, une situation conflictuelle se développe entre pêcheurs côtiers embarqués  et chasseurs sous-marins. Ces derniers, à travers l'organisation régulière de compétitions de chasse sous-marine, vantent des tableaux de chasse éloquents composés de poissons coralliens tandis que les premiers voient leurs prises en poissons de fond s'amenuiser progressivement. Cette situation signe le premier impact non naturel, responsable d'une perturbation de l'écosystème corallien aux conséquences sous estimées.

•  En 1976, sous la pression du conflit, les premiers arrêtés préfectoraux portant sur une gestion raisonnée de la pêche, sont pris. Une volonté claire de les faire respecter ne sera jamais affichée. La situation conflictuelle sera désamorcée mais les rancœurs perdureront. Quant aux mauvaises habitudes, elles s'ancreront.

•  Au cours de ces années, les recherches menées par les premiers chercheurs conduisent à une meilleure connaissance du milieu corallien. Ces scientifiques comme certains plongeurs-naturalistes passionnés, réalisent sa vulnérabilité face aux actions humaines. Peu nombreux, ils transmettent à qui veut les entendre, les premières réflexions sur la nécessité d'implantation de réserves naturelles. Des actions de sensibilisation sont engagées ponctuellement par ces personnes à la demande de certains publics. La nécessité de protéger ces milieux se fait de plus en plus incontournable aux yeux de ces publics avertis mais en nombre encore trop restreint pour influer sur le monde décisionnel.

•  Dès sa création (Décembre 1970) la SREPEN (Société réunionnaise d'études et de protection de l'environnement) fédère certains de ces acteurs. Devant les intérêts multiples et la diversité des interlocuteurs, elle soutient au nom de l'intérêt général et patrimonial l'idée de la nécessité d'une mise en place de moyens de protection à laquelle s'opposent de nombreux usagers au nom de leurs intérêts propres et immédiats.

•  En 1977, Claude BOUCHON est Doctorant en Océanologie. Il constate les premiers signes de dégradations biologiques sur le récif de La Saline les Bains. Il s'agit du développement d'éponges perforantes (cliones) aux détriments des peuplements de coraux. Ce sont des filtreurs d'éléments organiques en suspension. Parallèlement les populations d'oursins détritivores se multiplient sur les zones internes du récif. La prolifération de ces types animaux révèle une augmentation chronique d'une charge organique nourricière dans les eaux baignant le récif.

•  Dés le début des années 80 , les chercheurs devenus plus nombreux constatent l'effondrement du taux de recouvrement en coraux vivants en particulier sur les platiers récifaux. Les coraux, éléments constructeurs à la base des récifs, sont remplacés par des organismes opportunistes (algues, éponges, alcyonaires ou « coraux mous ») sans véritable rôle bâtisseur pour le récif. Les scientifiques expliquent cette nouvelle situation par des modifications affectant la qualité des eaux côtières suite aux apports par les écoulements terrestres, d'une pollution domestique nouvelle (intensification de l'urbanisation littorale sur ces secteurs sans réseau d'assainissement), de la pollution agricole (utilisation anarchique de fertilisants et de biocides dans des agrosystèmes en recherche de meilleurs rendements) mais aussi par la surexploitation non contrôlée des zones coralliennes au sens large.

•  L'élaboration du « livre blanc de l'environnement » en 1982 permet d'acter clairement la responsabilité de toutes ces causes dans la dégradation des récifs coralliens à la Réunion . Il préconise la mise en œuvre d'actions d'éducation et de sensibilisation à destination des publics les plus larges, la mise en place de réseaux d'assainissement des eaux domestiques et encourage toutes les réflexions en vue de l'implantation d'outils de protection pour faire face au vide administratif et autres flous administratifs en matière de gestion des usages sur ces milieux vulnérables mais aux forts enjeux.

Il y a donc plus d'un quart de siècle que la nécessité d'une protection efficace des aires coralliennes s'est faite jour à l'Ile de La REUNION  !…

•  En 1985, Catherine GABRIE et Lucien MONTAGGIONI font un constat qualitatif de l'érosion de larges secteurs de plages liées aux récifs coralliens ; phénomène suivi quantitativement depuis 1992 et qui s'est amplifié depuis ; l'une des causes retenues est l'affaiblissement de la construction corallienne (Dominique MIOCHE, Roland TROADEC, 2000).

Au début de ce nouveau siècle, le défaut de protection des édifices récifaux met en péril l'équilibre physique des littoraux associés…

 

Quelle réponses depuis ?

•  Concernant les pollutions :
En matière d'assainissement des eaux usées domestiques, les autorités compétentes décident la construction des premières stations d'épuration et, en 85, un plan d'assainissement des eaux usées est mis en place. En matière agricole, des efforts sont menés dans la formation et l'encadrement des exploitants agricoles pour une utilisation raisonnée de tous les intrants afin de diminuer du mieux possible le risque de contamination des eaux circulantes susceptibles de rejoindre les eaux côtières. Les problèmes sont loin d'être résolus dans ces domaines mais il existe une certaine dynamique pour chercher à y remédier.

•  Concernant l'éducation et la sensibilisation des divers publics.
L'engagement des acteurs de l'éducation, de la formation et de la sensibilisation a été rapide, enthousiaste et se poursuit pour répondre aux interrogations des nouvelles générations.

Bien qu'un nombre croissant de citoyens se sentent concernés (le projet de réserve Naturelle Marine a recueilli près de 7000  signatures en mai 2003 sans qu'un plan de collecte n'ait été organisé), il faut reconnaître que le monde de « ceux qui ne veulent point entendre » conserve des adeptes aux arguments nourris par leurs propres intérêts. A leur niveau, éducation et sensibilisation connaissent leurs limites et bien que peu nombreux au regard de la population de l'île, ils restent en nombre suffisant pour continuer à mordre de manière irresponsable (par intérêt personnel) sur la résistance des écosystèmes coralliens (le bien commun d'un patrimoine naturel).

•  Concernant la gestion des usages
Les réponses attendues de la part du gestionnaire du domaine public maritime brillent trop fréquemment par leur peu d'engagement tant dans la volonté de mettre en place un outil de gestion et de protection efficace que dans le courage à faire respecter les quelques arrêtés préfectoraux réglementant les prélèvements en milieu corallien. Ces arrêtés sont le plus souvent hérités de situations conflictuelles qui ne se répètent que trop souvent dans un contexte de laxisme généralisé. Citons parmi les rares tentatives de résolution, la mise en place pendant une décennie de pseudos réserves dites « tournantes » sur 3 ans ; leur seul mérite a été de montrer que pendant 3 ans les populations d'intérêt économique augmentent (effet « réserve ») puis se font exterminer en quelques mois la 4 ième année (effet « pêcheur ») et que le renouvellement de ces populations devient problématique…

•  En 1991 , alors que la plupart des spécialistes et personnes ressources investies dans la sauvegarde des milieux coralliens se sont rassemblés au sein de l'association VIE OCEANE, une énième situation conflictuelle débouche sur l'organisation d'un colloque interne à La Réunion portant sur l'environnement corallien. Ce colloque est organisé par la Sous Préfecture de Saint Paul avec l'appui de cette association et placé sous la responsabilité de M. Le préfet DELATTRE ; rare préfet particulièrement motivé par cette problématique environnementale. Un des aboutissements principaux de ce colloque est la naissance du « concept de Parc Marin » comme outil possible de gestion des aires récifales.

•  En 1997 , après moult travaux et péripéties, est créée dans le cadre de la loi de 1901, l'association PARC MARIN de la Réunion ; avec pour objectif de devenir le futur gestionnaire d'une réserve marine, encore hypothétique. L'association devient la structure interlocutrice pour les actions de sensibilisation, d'éducation, de formation et pour le suivi scientifique du milieu ; actions dont elle s'acquitte avec sérieux et du mieux possible. Néanmoins, voulant faire respecter les arrêtés préfectoraux en vigueur, en accord avec les principes de sa création mais sans disposer des moyens coercitifs, elle cristallise rapidement tous les antagonismes et les contradictions à la mise en place d'un outil de gestion. Elle demeure cependant une interface où se rencontre régulièrement les représentants de structures et organismes aux intérêts divers quant à l'utilisation des espaces coralliens.

•  En 2000 , ENFIN ! Le projet de réserve naturelle marine est pris en considération par le Ministère de l'Environnement et du Développement Durable .

•  La DIREN construit le dossier et met en place une large concertation basée sur de très nombreuses rencontres (plus d'une centaine) avec les différents usagers pour aller vers un consensus acceptable par tous. Un comité de pilotage voit le jour et est le point de convergence de nombreuses tractations. L'arbitrage d'un Comité de « 3 Sages » s'avère nécessaire.

•  En juin 2004, le comité de pilotage sous la présidence du préfet FRIEDERICI, valide un compromis (sous réserve de quelques corrections ou modifications mineures éventuelles) quant à la création d'une réserve marine pour les aires coralliennes de l'Ouest de la Réunion.

•  Ce projet est validé par trois fois et à l'unanimité par la Commission des Sites  : une première fois en octobre 2004 et une deuxième fois en février 2005, suite à une erreur de représentativité administrative la première fois. Une troisième fois en mai 2005, suite à l'entrisme des chasseurs sous marins, voulant réduire la superficie de la réserve projetée...

•  Une approbation par le Conseil National supérieur du Patrimoine Naturel est acquise en septembre 2005,

•  Une relecture juridique est présentée comme nécessaire pour conduire à une signature par les ministres concernés à la fin de l'année fin 2006  …

•  … soit avec près de 3 ans de retard sur le calendrier mis en place initialement par la DIREN

• Aujourd'hui, en Février 2007, soit 30 ans après que les premières voix se soient élevées pour la nécessité d'une création d'une réserve marine à La Réunion, nous sommes encore dans l'attente de la signature d'un 1 er ministre…

Dont le propre Président, prenant fait et cause pour l'environnement planétaire, signalait au sommet de Johannesbourg (2002) que «  la maison brûle et nous regardons ailleurs »…

Epilogue : Le 23 février 2007 a été publié au journal officiel le décret portant création d'une Réserve Naturelle Marine à La Réunion.

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