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Quelle gestion de la pêche de loisir dans la Réserve Naturelle Nationale Marine de La Réunion?

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Les pêches traditionnelles

Cartes de pêches

Quotas de pêche et état de la ressource


 

La gestion des activités de pêche dans le périmètre de la réserve marine est régie par des arrêtés préfectoraux qui viennent compléter les disposition du décret de la Réserve Marine .

Voici une analyse commentée des dispositions de ces arrêtés préfectoraux en date du 26/11/2007 et toujours en vigueur.

Article 1 : Les pêches traditionnelles autorisées

Pêche à la gaulette, pêche aux capucins nains et pêche aux zourites sont des pêches pratiquées en milieu corallien et plus particulièrement dans les zones d’arrière récif et sur les platiers ; les coraux sont non seulement l’élément fondamental, constructeur du récif, mais ils procurent également un abri et une source de nourriture à une multitude d’êtres vivants qui correspondent à la biodiversité de ces espaces.
Les pratiques de pêche autorisées engendrent des risques importants de piétinement des coraux. L’ouverture de la  pêche aux zourites (ou pieuvres), jusque là interdite, laisse à cet égard des plus perplexes.
Partout dans l’Océan Indien, les gouvernements voisins tentent de la limiter car reconnue comme particulièrement dommageable pour les coraux non seulement par piétinements mais aussi par  retournements des colonies coralliennes afin d’accéder aux caches de ces animaux.
A ces conséquences directes, il faut ajouter celles indirectes comme l’envahissement des lagons par les algues : l’installation des algues concurrentes est facilitée par le piétinement et les chocs qui endommagent les colonies coralliennes et les rendent  plus vulnérables. Plus il y aura de chocs ou de piétinements et plus il y aura d’algues.

Cette décision ne s’inscrit pas dans un contexte où les coraux sont à même de supporter un accroissement de la  pression anthropique ; L’ARVAM, dans son rapport 2006 concernant l’état de santé des récifs coralliens, conclut que 50% des stations étudiées montrent une baisse de leur taux de recouvrement en coraux vivants !

Cependant, les articles 6 et 10 rappellent « que sur la plate-forme récifale, il est interdit de marcher sur les coraux » et « le cheminement n’est autorisé que sur les fonds sableux ». Mais de telles conditions sont évidemment incompatibles avec la pêche aux zourites : alors comment interpréter de telles contradictions ?

Soulignons que ces zones coralliennes jouent un rôle crucial dans le renouvellement  de la ressource en poissons car ce sont des nurseries où les juvéniles venus du large, se développent avant de regagner les différentes niches écologiques du récif. La pêche à la gaulette comme la pêche aux capucins se pratiquent de façon peu sélective et aux détriments des juvéniles (Rapport halieutique, IFREMER, 2000). La pêche aux capucins s’accompagne de nombreuses prises accessoires qui peuvent atteindre jusqu’à 44% du total.
Les dernières études portant sur le peuplement du récif corallien par les juvéniles de poissons ont montré que le recrutement est limitant pour l’avenir de la ressource d’une part et que la probabilité pour que des larves viennent d’autres récifs est faible : le peuplement du milieu corallien en poissons dépend des adultes présents sur le récif réunionnais lui-même (P. Durville, ECOMAR 2002). En d’autres termes, les juvéniles qui s’installent sur le récif sont peu nombreux, il apparaît par conséquent crucial de les préserver pour permettre à la ressource de se reconstituer. L’autorisation de ce type de pêche et les quotas fixés ne vont certainement pas dans ce sens.

De plus, comment comprendre la situation paradoxale dans laquelle nous met l’article 1 de l’arrêté : « le préfet pourra autoriser d’autres pêches traditionnelles, sur la base d’une étude adaptée ». En effet, pourquoi ne pas avoir respecté cet article dans le cas présent des ouvertures aux pêches ci-dessus désignées ?  
Aucune étude préalable, ni sur les techniques de pêche ni sur l’état de la ressource, n’a été demandée pour appuyer les décisions de l’arrêté.

Article 2 et 3 : Cartes de pêche

Nous ne pouvons que saluer la mise en place d’une carte de pêche pour être autorisé à prélever sur les récifs coralliens à l’intérieur de la réserve naturelle nationale marine. Ce système devrait permettre de mieux connaître et de mieux communiquer avec les personnes s’adonnant aux activités de pêche traditionnelle.
Néanmoins, le nombre de cartes délivrées ; 800, est supérieur à celui des pêcheurs traditionnels apprécié à ce jour, et lors de nombreux épisodes de consultations antérieurs à la publication du Décret. Cela ne pourra par conséquent qu’encourager des vocations nouvelles alors que la pêche à pied et l’effort de capture devraient être réduits. 

Article 4 : Les quotas de pêche de loisirs et l’état de la ressource :

Les autorisations portent sur 5 KG de prises par jour et par pêcheur traditionnel : c’est ainsi qu’avec 800 autorisations, cela nous conduit, en théorie, à des prises journalières qui pourraient atteindre 4 tonnes.
Les dernières données (Bruggemann et al., WIOMSA 2007) montrent que la biomasse en poissons, dans les zones coralliennes de la réserve, est de 40kG/ ha en moyenne. Cette zone couvre 1200 ha, nous avons alors une biomasse totale en poissons estimée à 48T. Il faudrait alors 12 jours de pêche par pêcheur traditionnel pour que toute la biomasse soit prélevée... Si on estime que près de  30% de la biomasse est d’intérêt alimentaire, il ne faudrait plus que 4 jours... On ne peut que s’interroger sur la durabilité d’une telle pêcherie d’une part et du sérieux d’un tel quota d’autre part.

Si l’état de la ressource n’est pas connu, il apparaît sans ambigüité que les indicateurs dont nous disposons, ne révèlent aucune amélioration de celle-ci. Le suivi de l’état de santé des récifs montre un déficit en poissons carnivores (mérous, lutjans) qui sont les espèces prélevées de façon privilégiée.
En 2001, les prises en capucins atteignaient péniblement 1,7KG/jour et par pêcheur contre 7,8 KG en 1982. Parallèlement, le nombre d’autorisation était passé de 30 en 1982 à 514 en 1999...
En complément d’informations, au Kenya, en dehors des zones de réserve, la biomasse des poissons d’intérêt commercial atteint 1100kg/ha soit près de 30 fois plus qu’à La Réunion.
Nous avons du mal à penser que nous ne sommes pas dans une situation de surpêche !

Par ailleurs, ces quotas ne relèvent plus du loisir avec « 5 Kg par jour toutes espèces confondues ». Rappelons, que sur le territoire métropolitain, en matière de poissons, la pêche de loisirs est généralement limitée à des tailles minimales sinon à des nombres ou poids de spécimens en rapport avec la capacité de production de la ressource. Comment expliquer un tel manque de précisions tant par rapport aux poids et aux tailles que pour les espèces concernées ?
L'expérience montre d’ailleurs que dans les « lagons » de La Réunion, la réalité des captures s’établit entre 1,5 à 3 kg par semaine et par pêcheur !
Il apparaît clairement que, en aucun cas, les quotas fixés n’ont pour objectif de limiter les prises mais bien au contraire de donner toutes latitudes aux pêcheurs de loisirs pour s’adonner  à leur passe temps favori sans aucune restriction.

Le maintien d’un fort niveau de prélèvement sur les juvéniles et sur un certain nombre d’espèces d’intérêt alimentaire ne peut que renforcer les déséquilibres déjà constatés dans les réseaux trophiques de l’écosystème corallien et contribuer ainsi à le déstabiliser  davantage.

Article 5 :

Nous sommes heureux de constater que malgré le quota de 5 kg par pêcheur de loisirs et par jour, l’interdiction de la vente soit rappelée.

Article 7

La déclaration annuelle de capture  apparaît également intéressante pour suivre l’importance des pêcheries engagées mais quelle peut être la pertinence d’un tel outil ? Quel crédit lui accorder ?

 

En conclusion, les contradictions relevées nous conduisent à nous interroger sur la compatibilité de cet arrêté avec le décret portant création de la réserve nationale naturelle marine, chapitre II article 3 : « Dans l'intérêt de la réserve le préfet peut prendre toute mesure nécessaire en vue d'assurer la connaissance, la conservation ou la restauration des zones récifales; il peut notamment soumettre à autorisation ou réglementer ou interdire temporairement ou définitivement certaines activités dès lors qu'elles portent atteinte à l'écosystème, à son équilibre à ses composants ou à toute espèce associée à l'écosystème récifal »...