La valeur d'usage des récifs coralliens : acteurs, espaces-ressources, échelles.

par Gilbert DAVID (Laboratoire d'Etudes Rurales, 34095 MONTPELLIER cedex O)

L'économie de l'environnement est une discipline récente. Elle s'est encore peu intéressée au milieu récifal. Dans l'Océan indien, la première étude a été initiée par le Programme Régional Environnement de la Commission de l'Océan Indien en 1997, elle concernait la valeur économique des récifs de Mohéli (Comores). Une seconde étude est actuellement en cours elle porte sur l'impact économique du blanchiment des coraux aux Seychelles. Dans l'idéal, l'objectif de l'analyse économique est de donner la valeur totale du récif, mais ce milieu s'est avéré trop complexe pour les outils méthodologiques employés. Jusqu'à présent, les économistes se sont limités aux évaluations contingentes ou à la méthode des coûts de transport. Simples à mettre en œuvre, puisqu'elles reposent sur la diffusion de questionnaires aux touristes et à la population locale, ces méthodes se sont en revanche avérées peu robustes, leurs résultats étant très sensibles aux conjonctures économique et politique des destinations touristiques comme à celles des pays dont sont originaires les touristes. L'accent mis sur l'activité touristique constitue un autre biais, qui conduit à sous estimée nettement la valeur totale du récif en l'assimilant à sa simple valeur touristique.

La valeur totale du récif relèverait-elle alors du mythe ? Force est de constater que, face à des écosystèmes présentant une grande diversité, les économistes ont jusqu'à présent été incapables de dépasser les évaluations contingentes. Prisonnier d'un cadre théorique rigide, ils ont cherché à simplifier à l'extrême les données du problème qui leur était posé en considérant que l'écosystème était un milieu homogène, donnant lieu à un nombre limité d'usage pour un nombre réduit d'acteurs. Dans la présente communication nous allons prendre une optique tout à fait opposée qui laissera de côté les concordances entre grandes théories économiques mais qui mettra l'accent sur la complexité du récif, considéré comme un système associant des espaces-ressources, des acteurs, les usages que ceux-ci en tirent et différentes échelles emboîtées correspondant à des types d'acteurs et d'usages spécifiques.

Valeur totale du récif = valeur d'usage + valeur d'existence + valeur d'option

Espaces-ressources et acteurs

9 espaces ressources et 4 principaux types d'usagers directs du récif (populations. locale et urbaines de l'île, les opérateurs économiques locaux, les touristes étrangers sont présentés dans le tableau ci-dessous.

Espace ressources Acteurs Usage
Plages



Estrans sablo-vaseux


Lagon ou grand chenal d’embarcation
Mouillage







Pinacle corallien


Tombant récifal interne



Platier externe





Caye ou îlot corallien




Tombant récifal externe
Touristes, Population locale
Population urbaine île
Ramasseurs de sable

Population urbaine de l’île*,
Population locale

Pêcheurs artisans et informels,
Plaisanciers nationaux et
Touristes

Ramasseurs de sable
Aquaculteurs

Agence de voyage


Pêcheurs artisans et informels
Plaisanciers nationaux et touristes

Pêcheurs artisans et informels

Plaisanciers nationaux et touristes

Plaisanciers nationaux et Touristes, pêcheurs informels

Extracteurs de corail


Plaisanciers nationaux et,
touristes, Hôteliers
Population locale,
Ramasseurs de sable

Pêcheurs artisans et informelsPlaisanciers nationaux et touristes
Activité balnéaire

Extraction sable

Collecte de coquillages
pêche filet

Pêche filet,ligne
Plaisance


Extraction de sable
Aquaculture coquillages,
algues et poissons
promenade bateau à fond de
verre

Pêche filet, ligne, plongée
Plongée sous marine

Pêche ligne, plongée,
Collecte éponges, corail
Plongée sous marine

Collecte de coquillages, crustacés, poissons, corail

Extraction de blocs pour BTP


Activité balnéaire
Hébergement touristique
Habitat, extraction sable
Extraction de sable

Pêche ligne, plongée
Collecte éponges et corail
Plongée sous-marine

*pêcheurs informels et population fréquentant les plages

Valeur d'usage du récif

Valeur d'usage directe générée par une économie extractive
Le récif est un capital économique générant des intérêts annuels maximaux sans altérer la capacité de renouvellement du milieu ni celle de la ressource. La valeur du capital est égale à la somme des intérêts servis pendant 30 ans, temps de renouvellement d'une génération humaine.

Types d'économie extractive :

  • Pêche et collecte d'animaux marins :
    • pêche artisanale commerciale,
    • pêche ou collecte à caractère marchand relevant du secteur informel,
    • pêche vivrière ou récréative,
    • pêche ou collecte à des fins non alimentaires (coquillage et corail vendus aux touristes, poissons d'aquarium).
  • Extraction de sable et de blocs coralliens pour la construction
  • Valorisation médicale du récif (corail, éponges, gorgones).

Valeur d'usage directe générée par une économie non extractive

Le tourisme

2 méthodes d'évaluation économique:

  • les dépenses sur place des touristes (logement, nourriture, transport local, entrée dans les aires protégées et services touristiques liés au récif),
  • les dépenses en matière de transport international.

Valeurs sociale, culturelle et éducative du récif

2 méthodes d'évaluation économique:

  • évaluation contingente,
  • coût de remplacement des services culturels et récréatifs assurés par le récif

Les valeurs d'usage indirect

La protection du trait de côte

Le récif brise l'énergie des vagues et engraisse les plages. L'estimation économique de ces service est donnée par le coût de remplacement ou de substitution du récif par des structures artificielles assurant ces mêmes services. A tire d'exemple 1 km de tétrapode coûte 1 million de dollars US.

Support biologique et physique

Le récif est le support biologique pour nombre d'espèces qui s'y développe au stade juvénile (fonction de nurseries), qui viennent y chasser ou qui se nourrissent en partie de poissons « fourrages » émis par le récif vers les eaux côtières. Le lagon est un support physique pour l'aquaculture de poissons (cages), de coquillages et d'algues (filières verticales ou horizontales).

Deux méthodes permettent l'évaluation économique de ces services:

  • le coût de remplacement du récif par des structures artificielles (construction de bassins aquacoles à terre),
  • les changements de la productivité du milieu ou de l'activité (pêche, aquaculture) qu'induit la dégradation du récif.

Valeur d'existence et valeur d'option

La valeur d'existence est celle qu'un individu attache à l'existence du récif. On fera une distinction entre d'une part les touristes dont l'attachement porte sur le milieu ou sur des espèces emblématiques et d'autre part la population locale qui s'attache à un genre de vie liée au récif (chasse sous-marine, pêche, ...)

La valeur d'option correspond à ce qu'un individu est prêt à payer pour maintenir l'option d'un usage futur du milieu.

L'évaluation contingente est l'unique méthode pour estimer ces deux valeurs.

L'estimation économique, outil de communication

A l'heure actuelle 10 % des récifs de la planète sont irrémédiablement dégradés, 30 % sont menacés à court et moyen terme. Du fait d'une mauvaise adéquation entre leur argumentation, axée sur la biodiversité et la richesse écologique du milieu récifal, et la rationalité des décideurs, les scientifiques n'ont guère réussi à enrayer ce processus de dégradation. Attribuer une valeur monétaire au récif permet d'intégrer l'écologie dans la sphère économique et de s'adresser aux décideurs dans un langage qu'ils comprennent. C'est la raison pour laquelle, malgré les difficultés méthodologiques et les connaissances insuffisantes en ce qui concerne le fonctionnement des récifs, il convient de dépasser les seules évaluations contingentes pour tendre vers l'estimation de la valeur totale du récif.

Si les valeurs d'option et d'existence ainsi que la valeur d'usage indirecte et la valeur d'usage directe non extractif seront calculées pour l'ensemble du récif, la valeur d'usage directe à caractère extractif sera estimée à partir de la valeur de chacun des 9 espaces-ressources.

Compte tenu de la grande diversité interspécifique des ressources récifales et de leur faible abondance intraspécifique, on peut considérer que, pour chaque grande région biogéographique, chaque type d'espace-ressource présente une grande homogénéité écologique à l'échelle du km2. Par extension, la valeur économique de chaque type d'espace-ressources est également homogène, ce qui autorise les extrapolations entre des récifs distants parfois de plusieurs centaines de km. C'est dire le formidable enjeu que représente l'estimation de la valeur d'usage extractif des récifs. Seul un effort multidisciplinaire associant étroitement biologistes marins et socio-économistes permettra d'aboutir. Une fois cette estimation obtenue pour des conditions optimales d'état de santé des récifs, des études complémentaires devront être entreprises pour évaluer le coût économique de la dégradation du milieu corallien. Il sera alors possible de donner une valeur économique pour chaque km2 d'espace-ressource type à différentes conditions de dégradation écologique.

Résumé GIZC 14-18/06/99