SYNTHÈSE SUR LE SUIVI DE L’ÉVOLUTION TOPOGRAPHIQUE DES PLAGES CORALLIENNES DE LA RÉUNION (Décembre 1998 - Décembre 2001)
Laboratoire des Sciences de la Terre - Université de La Réunion (LSTUR) - Rapporteur : R. Troadec. CONTEXTE DE L’ÉTUDE L’étude avait pour objectif de vérifier si l’érosion des plages, préalablement démontrée, analysée et quantifiée par deux études précédentes du LSTUR (GABRIE et MONTAGGIONI, 1984-1985 ; TROADEC et MESPOUHLE, 1992-1994) se poursuivait ou si, au contraire, elle était en voie d’être maîtrisée grâce aux méthodes de nettoyage préconisées et aux mesures de protection recommandées, site par site. Sur le plan méthodologique, le choix avait été fait de suivre quarante profils du Cap Champagne à Grande Anse et de manière à encadrer les régimes "météomarins" saisonniers. Ce plan n’a pu être scrupuleusement respecté, nécessitant parfois d’être adapté aux circonstances. Ainsi, quelques profils ont dû être abandonnés suite à des aménagements ou des dégradations ayant conduit à la disparition de nos repères. Ils n’ont été que progressivement remplacés. On rappellera que parallèlement au suivi des profils, dit "suivi scientifique", devait s’opérer un suivi dit "technique" d’entretien des plages (formation, animation, surveillance des équipes de nettoyage) selon des secteurs expérimentaux que nous avions définis : secteurs à évolution naturelle, à enfouissement des débris, à réarrangement des débris, à petits aménagements en haut de plage. Ce suivi technique, destiné à permettre de vérifier le bien-fondé des méthodes d’entretien choisies et, éventuellement, de corriger celles-ci, secteur par secteur, en cours d’étude, en fonction des résultats du suivi scientifique, n’a pu être réalisé. Cette absence de données objectives sur les interventions conduites (fréquence et type de nettoyage notamment) rend l’interprétation de nos résultats plus délicate, faute de pouvoir discerner précisément l’action naturelle de l’action humaine. Cela ne nous permet pas d’apporter dès maintenant aux décideurs des conclusions à la précision définitive quant aux moyens de contenir au mieux le phénomène érosif sur les plages coralliennes. RÉSULTATS Bilans sédimentaires Lors de l’étude précédente (R. MESPOULHE, R. TROADEC, 1994), 63 % des radiales suivies (17 / 27) étaient en amaigrissement prononcé. Par comparaison avec les résultats actuels, huit de ces radiales n’ont toujours pas renversé cette tendance (Cap Homard, Grand Fond Nord, Roches Noires, VVF, Corail Sud, Saint-Leu Ville, Saint-Pierre Gendarmerie et MNS). Sept autres ont amélioré leur situation sédimentaire (Boucan Nord, Saint-Gilles Cimetière, Récif, Go Payet, Hermitage MNS, Saint-Leu Cimetière et Ravine Blanche). Aux précédentes radiales en érosion, il faut ajouter 11 autres qui relèvent de ce phénomène ; mais en tenant compte du fait que des plages nouvelles ont été suivies. Ces dernières, à elles seules, regroupent 6 radiales en déficit sédimentaire : Grand Fond Sud, Souris Chaude, Grand Bois 1 - 2 - 3 - 4 , auxquelles il faut ajouter parmi les "anciennes" suivies et auparavant non érodées : Maharani Hôtel, Boucan Hôtel, Boucan Sud, Corail Nord et Saint-Leu Gendarmerie. Evolutions morphologiques des plages Plusieurs observations sont autant de reflets qui traduisent l’atteinte érosive des plages réunionnaises. On notera que beaucoup de radiales sont courtes. Elles sont bien souvent amputées de leur arrière-plage, privatisée et cernée par des murs de propriétés. Les "réservoirs sédimentaires" représentés par ces arrière-plages, sont aujourd’hui piégés et ne participent plus aux échanges sableux entre les différents compartiments de la plage. Ces échanges sont fondamentaux pour compenser les impacts des régimes hydrodynamiques exceptionnels. On réalisera que parfois, l’avancée du bâti sur la plage est telle que cette dernière est réduite à une zone correspondant globalement à son simple estran inférieur. On retiendra que les grandes fluctuations de profils concernant certaines radiales, traduisent la grande mobilité des sédiments constitutifs. Il est évident que de tels secteurs de plage comportent un grand risque d’instabilité pour les constructions qui les jouxteraient de trop près (ou qui les jouxtent déjà …). On remarquera une grande dominance morphologique pour les profils, tant dans le temps que dans l’espace ; à savoir une forme à la pente rectiligne , sans convexité dans son extension. Cela signifie que ces profils, non propices aux accumulations, sont régulièrement balayés par les déferlements des houles. Leur morphologie héritée confirme qu’ils ne représentent plus aujourd’hui que les reliquats d’anciens estrans dont les parties les plus hautes et les arrières sont aujourd’hui "occupés". La morphologie caractéristique et originelle n’est plus ; la plage est incomplète … On rappellera que ce type de profil "plat" traduit une limite d’équilibre, en deçà de laquelle la tendance à la concavité (visible sur certains profils) est la marque caractéristique de l’amaigrissement généralisé. Ces caractères morphologiques apparaissent également pour des estrans dont les arrière-plages sont encore disponibles. Mais l’intense fréquentation, trop souvent "indisciplinée", imprime une action telle que la réserve sableuse de ces zones est remaniée au point de ne plus répondre convenablement à l’équilibre sédimentaire de la plage. Des jonctions plage arrière-plage, quand elles existent, sont fortement entamées par l’érosion anthropique. Elles ne favorisent ni les échanges entre les compartiments sédimentaires ni la dissipation énergétique des plus forts déferlements. LES CAUSES DE L’ÉROSION Des causes naturelles peuvent être invoquées pour expliquer un phénomène d’érosion côtière reconnu dans le monde entier. On peut dans notre cas citer pour mémoire :
Ces aspects ont été discutés dans la précédente étude du LSTUR (MESPOULHE, TROADEC, 1994) . Ces causes sont à ranger dans le domaine d’un "probable" fortement discuté par la communauté scientifique. Cela ne doit pas minimiser voire occulter des responsabilités humaines bien réelles, liées en particulier à une appropriation de la bordure littorale par un développement qui pour le moins semble ignorer les bases de la dynamique sédimentaire des plages mais surtout qui apparaît peu soucieux du "principe de précaution" et de la notion de la "durabilité" dans le respect des équilibres naturels. Nous citerons pour mémoire : L’empiétement sur le domaine côtier L’urbanisation des secteurs de haute plage des zones balnéaires constitue un piège pour les stocks sableux qui n’entrent plus dans les échanges sédimentaires indispensables au maintien des estrans. La construction de murs de protection L’occupation de la haute plage réduit le profil nécessaire à la dissipation de l’énergie des vagues. Les murs interrompent définitivement les échanges sédimentaires. Leur pouvoir de réflexion renforce la turbulence des déferlements et amplifie le départ des sédiments. De plus la fragilisation des anciens murs en appelle d’autres, plus épais, plus profonds et plus déstabilisants pour les estrans… La mise en place d’ouvrages portuaires et d’équipements littoraux (digue, ponton) Ils peuvent interrompre gravement la dérive littorale. Le transit des sédiments et l’hydrodynamique sont modifiés de manière significative. L’urbanisation des bassins versants proches des récifs coralliens Grandissante dans la zone Ouest cette urbanisation, comme celle des zones littorales, est à l’origine d’une forte perturbation des écoulements pluviaux. Le réseau hydrographique est modifié, l’imperméabilisation des surfaces augmente et des drainages nouveaux sont activés vers les zones basses. En surface, ces derniers sont responsables de ravinements superficiels et agressifs qui s’intensifient vers des cordons littoraux autrefois protégés . En profondeur, des saturations d’eau se développent dans des zones sableuses du littoral provoquant la perte de cohésion des particules et facilitant de ce fait leur mobilisation sous les impacts des déferlements de tempête. L’endiguements des ravines Ils focalisent l’effet érosif des crues cycloniques sur les cordons sableux au débouché des cours d’eau concernés. Les nouveaux calibrages donnés et l’imperméabilisation des berges augmentent les débits qui surcreusent les cordons sableux à l’embouchure. Si les reconstitutions des estrans s’opèrent, il faut craindre sur le long terme une augmentation progressive du déficit sédimentaire accumulé ; soit dans la zone du débouché, soit au niveau des zones situées en amont du transit sableux compensateur. La perturbation des profils de plage Elle se fait par des creusements de tranchées de drainage, des prélèvements de sable, le passage d’engins mécanique, la surfréquentation et la multiplication de rassemblements festifs sur certains secteurs, le ratissage intensif de certains estrans par des plagistes. Les vides (extractions, abrasions, tassements) créés par ces opérations diverses se comblent au détriment des autres secteurs sédimentaires proches mais qui n’ont pas forcément le pouvoir régénérateur nécessaire. La dégradation anthropique des platiers coralliens Des travaux effectués par les chercheurs d' ECOMAR de l’Université de la Réunion démontrent l’importante dégradation subie par les récifs ces dernières décennies. Ce sont des zones fragiles dans leur équilibre naturel. Elles sont fortement agressées par des pollutions pluviales, domestiques ainsi que par la surexploitation (sens général) des espaces coralliens. .Le bilan de cette destruction anthropique peut être lourd à plus ou moins long terme :
Une étude récente et conjointe des laboratoires LSTUR et ECOMAR a conduit à la mise en évidence d’une relation assez étroite entre la vitalité des zones coralliennes et l’état de santé des plages qui leur sont liées (MIOCHE D., TROADEC R.,et al.,Etude PPF MER 2000-2001). ![]() RECOMMANDATIONS GÉNÉRALES On reconnaîtra un rare mais maigre point positif : le maintien d’une relative pente basse et droite pour les profils qui ainsi semblent traduire une certaine résistance actuelle à l’accentuation d’une érosion que des concavités plus accusées des estrans pourraient révéler. A la suite de l’étude de 1994 (R.Troadec et R.Mespouhle LSTUR) des mesures de protection ont été prises et appliquées sur certaines plages du littoral réunionnais. Depuis, sur ces secteurs, le bilan est plutôt encourageant, mais il faut rester très vigilant et poursuivre les efforts entrepris dans l’entretien des plages. Les aménagements comme la délimitation du stationnement des voitures, la végétalisation des hautes et arrière-plages, l’entassement des débris de coraux à la limite du sable ou leur enfouissement, semblent des mesures efficaces qui freinent l’érosion. Ces actions comme d’autres expérimentales (réarrangement des débris grossiers), bien que positives, sont faibles au regard des processus d’érosion. Les tentatives de rechargement, aux creux des racines des filaos et au pied des murs affouillés, avec les débris de coraux ne sont pas à l’échelle du problème (certains filaos sont déchaussés sur une hauteur de plus de deux mètres). Des remodelages des hauts de plage sont à envisager et les flux de la fréquentation sont à mieux maîtriser. Les plages à profil érodé semblent globalement être stabilisées autour d’une ligne d’équilibre très "limite" ; les départs de sables sont freinés mais ce n’est pas pour autant que les déficits sédimentaires se combleront rapidement surtout si les causes d’érosion demeurent. Par exemple, il n’y a aucune raison pour que les processus érosifs s’inversent dans des secteurs où la haute plage reste équipée par des ouvrages au fort pouvoir réfléchissant vis-à-vis des déferlements... Des aménagements nouveaux voire innovants comme la remise en cause de certains ouvrages pénalisants sont à considérer pour réduire du mieux possible l’impact érosif quand il s’exprime. On insistera sur le fait que les plages coralliennes de la Réunion qui représentent un enjeu économique et patrimonial certain, sont peu nombreuses, peu étendues et d’une grande sensibilité car dans l’ensemble très exposées et facilement remaniées dans un contexte de régimes houlographiques pouvant être sévères. On mesurera toute l’importance de connaître au mieux les fonctionnements hydrodynamique et sédimentaire en liaison avec les phénomènes saisonniers mais aussi d’apporter toute la protection nécessaire aux récifs coralliens nourriciers et protecteurs. On retiendra que des connaissances solides sont acquises sur les processus de la phénoménologie "érosion" et elles sont mondialement reconnues. On ne peut que regretter qu’elles soient si souvent ignorées. Il convient de faire preuve d’une élémentaire prudence afin de bien raisonner à la fois tous les projets d’aménagements en zones littorales mais aussi les différents usages à appliquer à ces espaces. Les littoraux meubles sont les plus vulnérables du fait de la mobilité de leurs constituants. Ils font partie des espaces les plus convoités dans des régions insulaires tropicales comme l’île de La Réunion. Leur fort potentiel socio-économique mais aussi la résistance physique qu’ils représentent face à la mer, devraient amener les autorités compétentes à se responsabiliser rapidement quant à leur devenir. Le souci d’une stratégie générale de lutte contre l’érosion littorale doit accompagner tout projet de développement sur les espaces côtiers comme sur ceux qui en amont ont une incidence directe. |