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Quel effort de pêche le récif réunionnais peut-il supporter?

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La protection de l'écosystème et de ses ressources doit prendre en considération des activités humaines en vue d’une gestion intégrée de la zone côtière.

Dans un contexte d'urgence, nous avons été amenés à nous prononcer uniquement sur les aspects halieutiques et à leur prise en compte pour la mise en place de zones de protection.

Néanmoins, nous tenons à souligner qu'il existe d'autres activités d'exploitation (aménagements de la frange littorale, loisirs nautiques…) de ces espaces coralliens et qu'elles devront être considérées dans les plus brefs délais.

Nous avons pris bonnes notes des techniques de pêche envisagées et présentées par les associations de pêcheurs.

Nous laissons le soin aux services scientifiques compétents en la matière de se prononcer sur ces techniques. Cependant, il nous semble évident que toute technique qui dans son exercice risque de porter atteinte physiquement à la vie corallienne (bris de corail) doit être abandonnée ou fortement réduite.

Cependant, nous remarquons que les aspects quantitatifs liés aux différents types de pêche n'ont pas été abordés ou de manière très sommaire.

Nous rappelons que les êtres vivants du récif sont en interrelation. Cette dernière a un rôle fondamental dans le maintien de l’équilibre de l'écosystème,et tout prélèvement excessif, sur une ou plusieurs espèces, contribue à rompre cet équilibre.

Il nous semble fondamental de formuler la question suivante :

" Quel effort de pêche peuvent soutenir les récifs de la Réunion?"

Dans l'immédiat nous engageons une réflexion sur la base des données suivantes :

Compte rendu du groupe de travail "pêche et aquaculture" animé par F. René (IFREMER), D. Gilbert (IRD) et al. Séminaire GIZC du 14-18/09/99 St Leu, il y est écrit :

"Le récif fait l'objet d'une pêche intense : 354 tonnes y sont pêchées à pied ou par les barques du secteur informel dans lequel est incluse la pêche plaisancière; s'y ajoutent les 105T capturées par les barques des professionnelles. Sur les 216 tonnes relevant de la pêche sous-marine, il est vraisemblable que 10 à 30% proviennent du récif. Au total, ce serait 480 à 525 tonnes qui seraient extraites chaque année des 25 Km de linéaire côtier de récifs que compte l'île de la Réunion soit 40% de l'ensemble de la production halieutique des eaux côtières, ce qui est tout à fait considérable."

Au total, ce serait 480 à 525 tonnes qui seraient extraites chaque année des 25 Km de linéaire côtier de récifs de la Réunion.

La lecture du tableau (pages 15 et 16) montre que cette activité côtière qui est le fait de 3 500 pêcheurs non professionnels génère un rapport de 31 millions de francs soit un revenu annuel moyen de 8600 francs par pêcheur non professionnel.

La seule pêche à pied non professionnelle prélève 340T/an pour une valeur de 16,5 millions de francs que se partagent 3 000 personnes soit un revenu individuel annuel de 5100 francs.

Recherches bibliographiques à notre disposition
  • Données sur la productivité des récifs coralliens dans l'Indo-Pacifique en liaison avec l’activité de pêche:

    Il a été longtemps admis que le rendement des pêches pour les écosystèmes coralliens doit être compris entre 4 et 6 t/km2/an (Stevenson et Marshall, 1974). Des études plus récentes sur des statistiques de pêches font état de rendement plus important, allant jusqu'à 24 T/km2/an (cf. Tableau).
    Auteurs Récifs concernés Résultats t/km2/an Moyens d'étude
    Hill, 1998 Pêche côtière Samoa 18 Statistiques de pêche
    Alcala, 1981 Récifs coralliens Philippines 24 Statistiques de pêche
    Munro, 1985 Récifs coralliens Samoa américaines 20 Statistiques de pêche
    Galzin, 1985 Récifs coralliens Polynésie française 23 Dynamique des populations
    Rendement comparé des pêches côtières tropicales de l'Indo-Pacifique (poids humides).

    Néanmoins, pour la prise en considération de tels chiffres, Galzin insiste sur "la grande importance du recouvrement en corail vivant dans la mise en place des peuplements ichtyologiques".

    De plus, certains de ces récifs, soumis à une telle gestion, montrent des signes de surexploitation (Pauly, 1979; Ursin, 1982; Grigg et al., 1984).

  • Données sur le récif réunionnais

    La productivité du récif dépend de la vitalité corallienne.

    L'évolution du taux de recouvrement constitue un indicateur de la santé de l'écosystème.

    Des études sur le recouvrement en corail dans le secteur de Saint-Gilles - la Saline ont été effectuées tout au long de ces dernières années par C. Bouchon (1976), P. Chabanet (1991), P. Durville (1997) et PAE évariste de Parny (1998).

    Le recouvrement corallien, pour des profondeurs allant de - 12 et - 15 m, dans la région de St Gilles-La Saline a décru considérablement : Il était compris entre 29 et 49% en 76 et 91 (C. Bouchon, P. Chabanet, études effectuées sur 4 stations) ce qui représentait un état satisfaisant de la vitalité corallienne et donc de l'état de santé de l'écosystème. Le recouvrement corallien n’est plus que 10% à 21% en 96-97 (P. Durville, 1 station ; PAE évariste de Parny, 8 stations).

Le taux de recouvrement a été nettement réduit au cours de la dernière décennie.

Un autre indicateur de la vitalité corallienne est le taux de calcification (quantité de calcaire fixé par unité de surface et par an). La valeur pour un récif standard est de 4,7 kg/m2/an (Kinsey, 1983). Celui de la Grande Barrière cité par Cuet (1989) est de 12kg/m2/an. Les taux mesurés à la Réunion 1,4 à 2 kg/m2/an (Guillaume, 1988) et de 1 kg/m2/an (Cuet, 1989).

Le taux de calcification apparaît 3 à 4 fois moins élevé à La Réunion en moyenne et il est 7 fois inférieur à celui de la Grande Barrière de Corail. Qu’en est-il des populations de poissons ?

Faure et Montaggioni (1978) ont évalué la superficie du complexe réunionnais à 12km2. Si on rapporte le tonnage de poissons prélevé (480 à 525 tonnes/an) à la surface (12Km2), ce sont 40 à 45 tonnes/km2/an qui sont extraites annuellement du récif réunionnais.

Soit 10 fois plus que la valeur standard conseillée (4 à 6 T/km2/an), 2 fois plus que la valeur la plus élevée et cela dans un contexte local où la vitalité de l'écosystème semble 3 à 5 fois plus faible.

Les signes de surpêche sont évidents et souvent évoqués par les pêcheurs eux-mêmes : diminution de la taille et la raréfaction des espèces commerciales.

Sur un site du récif de Saint Gilles Sud, étudié de 94 à 97, 36% des espèces commerciales ont disparu.

"On constate une absence presque totale des espèces commerciales (mérous, lutjans, et beauclairs) alors qu'elles devraient y être présentes en grand nombre. On peut noter une grande absence des Scaridae (poissons perroquets) qui font pourtant partie de ces paysages coralliens"... (P. Durville 1997)

Bilan :

Des études supplémentaires devront être réalisées mais étant donné le faisceau d’arguments scientifiques et les différents constats, des mesures sont à décider rapidement :

Si on admet que la productivité maximale est de 20t/km2/an pour un écosystème en bonne santé, (ce qui n'est pas le cas de celui de la Réunion). Et bien qu'il n'y ait pas de règle de proportionnalité claire entre recouvrement corallien et peuplements ichtyologiques, on peut cependant constater qu'en divisant par 3 ou 5 la productivité maximale, on obtient 4 à 6 t/km2/an soit le taux standard conseillé pour le rendement de pêche en milieu corallien.

Aussi, dans un principe élémentaire de précaution, le prélèvement sur la totalité des zones coralliennes ne devrait pas, dans une première approche, excéder les 72t/an (6t/Km2/an x 12 Km2).

La surexploitation des ressources du récif corallien qui s'exerce sur certaines espèces notamment de poissons ne peut que conduire à un déséquilibre important du réseau trophique et par conséquents à des perturbations majeures dans les mécanismes de régulation de l'écosystème. Ainsi, l'élément fondamental, le corail, soumis aux actions de ses concurrents et de ses compétiteurs, de plus en plus nombreux suite à la disparition de leurs prédateurs, voit sa vitalité réduite.

Protection de l’équilibre corallien en liaison avec la pression de pêche

Il est à craindre que l'on ait sous-estimé pendant trop longtemps l'impact d'une surexploitation de la ressource halieutique bien que les premiers règlements établis en 1976 portaient en majorité sur les actions de pêche alors qu’on ne parlait pas encore de dégradations des récifs coralliens.

Il est important que les pêcheurs concernés par les récifs coralliens puissent induire une gestion intégrée et soutenable de la ressource halieutique. Structurés en associations (à l’instar de la pêche en rivière) et en liaisons avec les organismes compétents, ils auront à mettre en place une stratégie de pêche contrôlant le nombre d’acteurs et l’impact des pêches (quantité, fréquence, action sur le récif corallien,...)

Une restauration de la vitalité corallienne et les acquisitions de nouvelles données sur la ressource halieutique de ces milieux permettront de faire les réajustements nécessaires.



Extrait de " Avis de l’association Vie Océane sur la mise en place de
différents niveaux de protection sur les zones récifales ".

Qu'en est-il aujourd'hui?

Dans le cadre de la Réserve Naturelle Nationale Marine de la Réunion, 800 cartes de pêche de loisir ont été distribuées donnant l'autorisation de prélever 5 Kilogrames par jour et par pêcheur. Cela fait 4T par jour qui en théorie pourraient être prélevées sur le récif corallien : il faudrait moins d'un mois pour que la production mise à disposition par le récif soit épuisée d'après les calculs précédents qui, dans le contexte actuel de réduction du recouvrement corallien, est bien optimiste!

EN 2007, H. Brggman (laboratoire d'écologie Marine, université de La Réunion, lors d'un conférence pour le WIOMSA, faisait part de résultats montrant que la biomasse des poissons atteignaient sur les récifs, 40 kG/ha soit 4T/km2 soit au total 48T de poissons disponibles sur la totalité des espaces coralliens de la réserve. Et parmi cette biomasse, quelle est la part intéressante pour la consommation humaine? Soyons optimiste, disons 1/3 soit 12T... IL faut 3 jours de pêche pour tout préleer... Que restera t-il pour demain?